par Le Théâtre du Petit Rien
Crédit : Eva Sanz
Mise en scène : Marie-Simone Pustetto
ZAC : Eric Pebayle
NANO : Christian Sébille
Conception musique : Marie-Simone Pustetto et Fabrice Bernard
Crédits : Eva Sanz
Une action culturelle menée à Bordeaux, Bastide, en 2008
Présentation et analyse : Sanna Hansen
Première impression à chaud
« Pourquoi ils nous regardent comme ça ? » chuchote l'un. « Parce qu'on est la mer. » répond l'autre des enfants. Ils sont arrivés, Zac et Nano. A la mer. Que Zac n'avait jamais vue. Il y a eu voyage donc, avec des valises et un repas, certainement le train, mais aussi la voiture, des jeux et puis. La mer. Deux hommes qui regardent. Deux hommes sur la scène qui regardent le public. Et à la question -Pourquoi ?, un enfant répond -Parce que. La mer, c'est nous. Le public ce soir est « tout public». Du petit au grand, en passant par une large bande d'adolescents qui fait front. De mer. Rempart, digue qui par moments s'effondre et se laisse perdre un peu. Quant aux enfants, ils sont partis en voyage avec eux. Zac et Nano. Leur temps est le leur et leurs gestes aussi. Il y a écho. De la scène à la salle et inversement bien sûr. Deux hommes, deux amis qui se connaissent bien, mais se tournent autour aussi. Deux hommes, deux mimes burlesques qui jouent. Un tour aux repères en s'en souciant guère. Le public adulte se prend au jeu, entre l'enfant complice et l'adolescent rempart. Qui rit ne s'arrête, sinon se contient. L'espace est idéal, une petite salle, gradins et scène de plein pied, et il y a une forme de jubilation dans les gestes, dans les déplacements. Qui empruntent à l'eau ses expressions. La vague, la tempête et la mare en vase clos. Le clapotis de la pluie et au ruisseau ses envies. Zac est espiègle et Nano sérieux. Zac est habile et Nano pataud. Zac est un clown et Nano son tonton. La bande sonore porte le voyage. Des voix étrangères chantent la nostalgie et aussi le moment. Des sons d'instruments s'appuient sur le temps et les mouvements leur servent de chemin. Heureux ils sont, Zac et Nano, gourmand et peureux. Coquin et mesquin, enfant et gâteux. Et la lumière orchestre le tout. Suggère, cache, montre et déjoue. L'espace est lumière et le temps aussi. Elle relie le voyage, le public et l'envie. Joue sur le contraste, le mouvement et le défi. Relevé et magnifiquement réussi. Donner relief à ce qu'on voit et ce qu'on vit.
Choix de la pièce et présentation de l'action culturelle
La genèse de ma rencontre avec Zac et Nano compte parmi les histoires dont j'aime à me rappeler. De retour d'un long séjour au Canada en septembre 2006, je me trouvais libre à occuper les mercredis avec mon fils de quatre ans. Après une soirée animée par une troupe de théâtre amateur à son école maternelle, j'ai voulu donner suite à son souhait d'aller voir de nouveau un « pestacle ». Me renseignant dans les pages 'Culture, loisir' du site de la mairie de Bordeaux, je tombe sur une représentation théâtrale en direction du jeune public dans un théâtre du centre-ville de Bordeaux. Nous nous rendons alors sur les lieux, assez en avance car on prévenait sur le site qu'il était préférable de réserver. Il se trouve que ce mercredi-là, le théâtre vend deux billets : celui de mon fils et le mien. Verdict, le spectacle a lieu. Cette situation me paraît un tantinet cocasse, à l'inverse de mon fils qui, ne s'apercevant du vide qui nous entoure, adhère spontanément à la scène et à ce qu'il s'y donne. La pièce étant suivie par un goûter permettant la rencontre avec les deux comédiens, nous nous trouvons à quatre dans le hall d'entrée à discuter du spectacle avant de bifurquer rapidement vers des considérations d'ordre plus général et nous nous quittons un grosse demi-heure plus tard. Le lendemain matin, je suis surprise de rencontrer le comédien de la veille, Eric Pebayle, aux portes de l'école maternelle, accompagné de son petit garçon. Dès lors, nous nous croisons souvent. A l'école, mais aussi dans le quartier à l'occasion des quelques spectacles pour enfant qui s'y donnent, chaque printemps comportant son lot de festivals et de journées dédiées à. J'apprends que parallèlement au rôle qu'il occupe au théâtre du centre-ville de Bordeaux, d'ordre alimentaire, d'autres rôles lui permettent de vivre le métier de comédien dans une plus grande liberté d'expression. Il travaille notamment avec sa femme, Marie Pustetto, comédienne elle-même et metteur en scène. A la rentrée 2007, je rejoins le groupe des représentants de parents d'élèves et notre première réunion préparant le conseil d'école s'avère décisive. L'idée d'organiser un événement hors contexte scolaire et s'insérant dans la vie de notre quartier est soulevée et retenue. En effet, l'école maternelle Nuits jouxte la Maison Cantonale de la Bastide qui abrite une salle dont l'exploitation nous semble peu ouverte sur le quartier. En effet, aucun représentant de parents d'élèves ne la connaît de l'intérieur tant bien même que nous passons devant tous les jours.
Devant le nombre de spectacles pour enfants que j'ai pu voir et dont l'expression artistique m'était souvent apparue très limitée, les nombreuses discussions avec Eric Pebayle et Marie Pustetto sur le palier de l'école me permettent de croire que leur proposition théâtrale en direction du jeune public n'infantilise ni perd les enfants en cours de route. Je me propose de leur parler de notre idée.
Le premier conseil d'école de l'année, tenu fin octobre, accueille la proposition positivement. Quelques jours s'écoulent et je croise Eric Pebayle à la sortie de l'école. Il est séduit par l'idée d'inclure la dimension de quartier dès la construction même du projet. Son accueil est alors plus qu'emballant en raison de la grande souplesse qui semble d'ores et déjà s'instaurer dans la relation. En effet, il lui semble intéressant de retravailler Zac et Nano en direction d'un public très jeune.
Notre action culturelle commune va se concrétiser à partir du 8 février 2008, date à laquelle nous sommes deux représentants de parents d'élèves à assister à la représentation de Zac et Nano au Mascaret, salle de spectacle à Blanquefort.
Il s'agit pour moi d'une véritable découverte en termes de spectacle tout public. La proposition artistique ne lâche ni l'un ni l'autre, ni l'enfant ni l'adulte. Ce soir-là, j'adhère au drama, à la représentation de la vie, qui m'est donné à voir.
Car, formée en histoire de l'art et travaillant dans le domaine du cinéma, j'entretiens une relation ambivalente avec le théâtre. Originaire de Berlin, j'ai eu le privilège et le plaisir de suivre un certain nombre de créations et de représentations qui se donnaient alors à la Schaubühne, mais aussi au Maxim-Gorki Theater fin des années 1980 et début des années 1990. Il m'en restent l'art des comédiens tels les Otto Sander et des images scéniques d'une clarté intellectuelle et d'une expérience esthétique pérennes.
A mon arrivée en France, j'ai eu le choix malheureux des pièces (je me souviens de certaines mises en scène de Tchekhov notamment, à l'ancien Théâtre du Port de la Lune par exemple) qui ne m'ont pas incitée à massivement investir les lieux théâtraux. Par le biais de mes études, j'ai surtout fréquenté les salles d'opéra. En effet, je travaillais alors sur la scénographie lyrique et oscillais entre atelier de décor et salle de spectacle.
C'est entre autres mon fils qui me fait reprendre le chemin des théâtres, d'abord celui des pièces données en direction du jeune public, ou du « tout public ». C'est un domaine difficile, le spectacle tout public. Je me suis beaucoup ennuyée, et mon fils aussi je pense. Le cadre me paraît souvent très étriqué, l'enfant, pris par la main, ne peut qu'aller dans une même et 'bonne' direction, souvent stéréotypée. En général, les enfants passent après ces spectacles directement à autre chose. On a beau leur demander, ils diront que cela leur a plu, mais en resteront là.
Analyse Zac et Nano, le 8 février 2 0 0 8
Le cadre Zac et Nano partent voir la mer. La scène est nue, sans décors, intemporelle, tout comme les costumes et l'action. Il n'y a pas de dialogues, ou vraiment peu. Parfois, ils s'interpellent. - Zac ! - Nano ! Et à la fin, Zac s'écrie : - Nano, la mer ! On ne sait pas combien de temps ils ont mis pour arriver à bon port. On ne sait pas dans quel pays ils habitent, ni à quelle époque. La scène n'est occupée que par quelques accessoires que Zac et Nano amènent au début de leur voyage. Deux valises, une grande boîte avec des affaires éclectiques qui serviront au fur et à mesure aux différentes scènes. Le lieu qui accueille est parfait. La scène convient idéalement à l'intimité du jeu et elle est de plein pied. La salle en gradins admet un nombre de spectateurs en harmonie avec le ton de la proposition théâtrale. La trame narrative Zac et Nano partent, prennent le train, leur repas, la voiture. L'entrée en scène des deux acteurs met en place la trame narrative de toute l'action scénique. Nano est le chef, mais Zac mène la danse. Et c'est Zac qui est traversé par ce subit éclair mental, l'unique phrase de la pièce : - Nano, je n'ai jamais vu la mer ! Les valises et cartons sous le bras, le voyage sera tel un long fleuve tranquille parsemé de moyens de locomotion diverses et de temps de jeux, sortes d'« hors-temps », autant de moments 'vides' de non-sens. Le temps du repas est un délicieux moment de « partage » durant lequel chacun espère remporter le plus gros morceaux de pain, tout en étant cependant soucieux du confort de l'autre, chaque geste prenant son temps et s'inscrivant dans la durée. Un moment posé entre deux mouvementés. Car ils ont couru, Zac et Nano, dans un bel effrénément, pour arriver jusqu'au quai. Maintenant, ils se posent, partagent le repas, Nano avec la serviette blanche par dessus le bras et la rose à la boutonnière. Puis, Zac commence à jouer. Avec des boîtes qu'il empile, avec une fusée qu'il fait voler comme un enfant, avec un imaginaire qui ne semble ne rien avoir avec le contexte. Moment futile.
Nano, il va faire des bulles avec un bullier qu'il sort de sa poche. Aux quelques bulles du bullier, le vent des coulisses va apporter des centaines qui volent sur la scène et atteignent la salle. Il y en a, de plus en plus, partout. Zac en profite pour faire la vaisselle, pratique. Mais Nano en joue. Avec une raquette de badminton, normal. Quand on va à la mer, la raquette. Et puis, les volants aussi, il les sort et tape dedans. Les volants vont revenir de la salle à la scène, alors, on peut les renvoyer tant qu'ils reviennent. Qui les renvoie, Zac et Nano ne le savent pas et c'est d'ailleurs un peu inquiétant, mais juste un peu, car, ils se prennent vite au jeu. Puis, les boîtes finissent par dégringoler, bousculées. Les boîtes de Zac et cela crée l'incident diplomatique. Et le jeu s'arrête. Le train aussi. Il faut sortir. Les voitures attendent à la gare. Deux. Une pour Zac, l'autre pour Nano. Mais, comme il ne savent faire l'un sans l'autre, ils vont vite en laisser une pour finir le chemin ensemble dans cette berline loufoque. Et puis, la mer. Ils vont scruter l'horizon, incrédules, heureux. Se déchausser, se remonter le pantalon si ce n'est pour carrément l'enlever et puis s'aventurer. Le frais, l'éclaboussure, partout, la nappe, l'océan, la vague, l'onde, plongeon, abandon. Euphorie finale.
Crédit : Eva Sanz Les comédiens, les costumes, le masque Le jeu est physique et tient à la performance des acteurs. Si Nano apparaît comme le plus sérieux des deux, Zac incarne le versant irrationnel du duo burlesque. Les deux caractères bien définis dès la première apparition, le jeu se met en place. On appréhende avec délectation, tout en le pressentant furtivement, la prochaine dispute, la prochaine embrassade des deux comparses dont le jeu n'est pas stérile, mais jouissif, portant l'action scénique à un moment de grande finesse et justesse dans le registre des rapports humains. Si Christian Sébille présente une certaine raideur à se sentir totalement à l'aise dans son personnage Nano, Eric Pebayle déborde en Zac, toujours à la frontière du grotesque, mais sans jamais la franchir. Il semble ne pas avoir de limites dans son expression corporelle qui surgit d'une intense jubilation gestuelle et mimique, créatrice d'un comique de situation irrésistible. C'est de ce dispositif en négatif que la représentation tire une force inopinée. Ce que l'un n'arrive pas à lâcher, l'autre le fait profusément. L'engourdi et l'agile créent l'unité qui fait sens. Les deux Pieds Nickelés qui en font trop, chacun à sa manière, l'un en le maîtrisant presque trop, l'autre peut-être pas encore assez. On est toujours sur le fil, chaque action peut basculer. Le comique à fleur de scène, constamment. Le grand Nano, un peu lourdaud, et le petit Zac, qui éclate. Le noir et le blanc.
Tout comme les costumes d'ailleurs. Ces deux-là ont décidément bien trouvé leurs habits, qualité essentielle pour un bon clown. Il n'y a qu'a penser à Chaplin. Trop grands, trop raides pour Nano, trop serré, mais vraiment toujours à la limite pour Zac. La chemise qui risque de craquer par-dessus le ventre qui pourtant ou peut-être justement permet à cette maîtrise folle du mouvement et du geste de prendre son envol comique. Les toques aussi, les vieux pantalons et chemises élimés, tout dans les teintes délavées d'un noir et blanc défraîchi. Le masque blanc, mais pas outrancier, appuie l'expression mimique et gomme l'emprise du temps au profit du moment. Quelques touches de couleurs, roses aux boutonnières, jouets de l'imaginaire, ajoutent au tableau final un caractère gai et triste à la fois.
La mise en scène La mise en scène procède du drama qui refuse de dissocier le comique et le tragique. Zac et Nano sont autant jubilatoires qu'ils sont pathétiques. Leur piètre allure en habits mal ajustés, leur repas modeste et leurs affaires patinées contrastent avec la bonne humeur de Zac, mais se révèlent dans le caractère anxieux de Nano. Zac apparaît alors comme un enfant, encore insouciant, Nano est déjà grand, mais toujours naïf. Pourquoi Zac n'a-t-il jamais vu la mer ? Où habitent-ils ? Pourquoi portent-ils des toques ? On n'en sait rien et n'en saura pas d'avantage. Leur identité est celle des inconnus, de l'étranger et aussi celui de l'enfant. Ils sont en dehors du temps, Zac et Nano. Leur jeu s'inscrit dans une expérience universelle qui est celle des clowns et des mimes, synthétisant les différents états humains dans leurs gestes et leurs expressions. Ce qui se raconte sur la scène est sans temps et sans âge si ce n'est celui de chacun. Il engendre, sans jouer la participation du public au jeu, une réciprocité d'espace et de sens entre les comédiens et les spectateurs. Le public accompagne Zac et Nano dans leur voyage et dans le non-sens salutaire de certaines scènes. Le jeu des boîtes arriverait-il comme un cheveu sur la soupe s'il n'y avait pas ce décalage entre la performance réelle d'acteur et le grotesque de la situation. Un homme joue. Le comédien adulte incarne un jeu d'enfant dans lequel l'enfant se retrouve, et l'adulte se souvient. Forcément. Une mise à nue, tendre et drôle. Un moment de dévoilement et de restitution de ce que tout le monde a vécu, à un moment donné de sa vie. Le jeu dans le jeu et son interprétation par un comédien qui n'est plus, enfant, et qui fédère les différents âges du public. La mise en scène accorde aux comédiens une direction maîtrisée à l'interprétation et la liberté nécessaire à l'improvisation. En effet, aucun formatage vient entraver le plaisir du jeu. Zac glisse et tombe et on rigole. Était-ce exprès, non, hasard peut-être, mais peu importe. Puisque ce qu'on voit n'est pas appris. Mais transmis, gratuit et infiniment drôle et joli. La mise en lumière et en musique La lumière accompagne Zac et Nano dans leur voyage. Elle participe des différentes actions scéniques et de leur humeur. C'est très réussi et savamment dosé. Elle donne une unité de jeu à la représentation. Il y a du noir et du blanc là-dedans aussi. Du clair-obscur si on veut. C'est parfois en demi-teintes, puis plus vif, pour se lâcher en stroboscope quand ils courent, les deux diables, comme des fous, pour arriver au quai. C'est cinématographique, d'un bel effet, de qualité. La lumière qui modèle l'espace, à l'honneur dans cette proposition artistique. L'infini à la portée des quatre murs, le quatrième qui invite plus qu'il ne sépare. Le public convié partage volontiers. La bande sonore, cinématographique aussi, prend vie, prête vie, berce ou surprend le spectateur par des sons qui trament la narration, se fait tantôt minimal, tantôt sous influence. Slave. Ah, les toques ! Zac et Nano, seraient-ils russes, ukrainiens ou roumains ?
Il y du suspens par la contrebasse juste pincée, et un max de nostalgie avec des voix, venues d'ailleurs, qui chantent le pays, le berceau, les racines, la « Heimat » comme on dit chez moi, en Allemagne, le voyage, l'éloignement, la joie tout près du malheur, le lourd fardeau de la putain de vie. Et Zac danse, les bras levés, le visage illuminé, tellement heureux de l'instant dans l'espace qu'on a envie de se lever. Partir, chercher la mer. Jubiler. Exulter.
Crédit : Eva Sanz
La réaction du public ce soir-là
Deux rangées d'adolescents, venus avec un centre social, forment comme un rempart à la scène. De surcroît, ils ont pris en partie place sur le gradin d'en bas qui fait que leurs pieds foulent à même le sol des comédiens. Puis sur le second gradin aussi, ils sont les uns à côté des autres, pas d'espace, masse, comme une digue, imprenable. Sauf que. Par moments, la faille, comme une inattention, une décontraction inavouée, je sens physiquement le relâchement. Ils rient, oublient. Pour aussitôt se rappeler, se redresser. Parfois, les commentaires fusent, et Nano est sérieusement mal mené. Les enfants qui ne sont pas les plus nombreux ce soir-là sont enchantés comme peuvent l'être les enfants, au rire particulier du son perlé, de l'excitation, de l'instantané, de l'absence totale de nostalgie. Ils se retrouvent sans filtre dans les gestes de Zac et Nano, dans leurs jeux, leurs disputes, leurs coups de gueule et leurs joies.
Les adultes rient aussi. Certains en observateur, d'autres à distance, d'autres encore par souvenir, comme un peu gênés. Certains sans arrêt, relâchés, conquis, les muscles abdominaux sérieusement assaillis. Les retours en fin de spectacle sont positifs, on remercie, on rit encore, en souvenir. Certains diront cette phrase énigmatique : « Cela doit être vraiment bien pour les enfants. » Le lendemain de la représentation, dans l'après-midi, mon fils m'interroge. « En vrai, ils l'avaient déjà vu la mer, non ?! » « Je pense, oui. » « En tout cas, ça me donne envie d'aller voir la mer. » Ce n'est pas la dernière fois qu'il me parlera de Zac et Nano. Quant à moi, c'est un sincère coup de cœur. Tout d'abord parce que la proposition artistique est de cette cohérence et honnêteté qui accorde à toutes les expressions sa place. Entre le jeu jubilatoire des comédiens, la lumière alliée, la musique briguant ardemment le sentiment nostalgique, j'ai tant ri tout en ayant le cœur gros. Sont-ce mes origines slaves, est-ce parce que je suis moi-même étrangère, loin de la « Heimat » qui pourtant n'a semblé jamais en être une pour moi. J'ai ri pour ne pas pleurer le 'paradis perdu' ce soir là, celui de l'enfance qui définitivement et heureusement ne reviendra pas, celui des origines qui, opaques, ne se dévoileront peut-être jamais.
La réaction des artistes ce soir-là
Christian Sébille a souffert face aux adolescents qui ne l'ont pas épargné. « Il est moche », « Barre-toi, t'es nul », etc. C'est cette mise en danger du comédien dont on n'est pas toujours conscient en tant que spectateur. D'ailleurs, Nano, le personnage, est souvent spontanément pris par les enfants comme le 'méchant'. Alors, il cristallise toutes sortes de réactions qui ne font bien évidemment pas partie de l'écriture théâtrale. A croire qu'il en faut un, de méchant dans un duo. Le noir et le blanc, toujours.
Eric Pebayle semble plus serein. Ayant suscité tout de même une vive réaction de la part des adolescents au moment où il enlève son pantalon pour se jeter dans la grande bleue, il n'en a eu cure apparemment. Il les connaît de surcroît, ce groupe qu'il a rencontré dans le cadre d'un atelier donné à l'occasion de journées de sensibilisation au sein d'un quartier. Ils les a invités, ils sont venus. Sauf un. Celui avec qui il a eu le plus d'affinités. Il ne voulait pas voir Eric en Zac.
Quant à Marie Pustetto, les réactions du public l'ont plongée dans un état de doute. En effet, Zac et Nano s'est joué sur deux jours, quatre fois. On est en février et les places pour les scènes d'été sont d'actualité. Zac et Nano, « tout public » ou « jeune public » ? A fortiori, les avis de la part des institutionnels pencherait du côté du « jeune public ». Cela impliquerait de penser autrement la distribution du spectacle.
Intimement, je suis persuadée que Zac et Nano est « tout public ». Un des rares que j'ai vu personnellement. Et si mon expérience n'est pas des trop étendues, Zac et Nano ne souffre pas la comparaison. Car il n'entre pas dans la seule catégorie « jeune public » pour toutes les qualités artistiques que j'ai tentées d'étayer dans mon analyse ci-précédente.
L'action culturelle
Fortes de notre expérience lors de la représentation de Zac et Nano à Blanquefort, l'action culturelle se poursuit. Une série de réunions et de rendez-vous entre les trois acteurs principaux ponctuent le printemps naissant : la compagnie du Théâtre du Petit Rien, les représentants de parents d'élèves et les institutions telles que l'école et la Mairie de Bordeaux se retrouvent durant des moments de rencontre qui auront pour objectif d'interroger dans un premier temps la faisabilité du projet et dans un second d'en planifier les différentes étapes et leur suivi.
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Le jour du 23 mai, l'action menée apparaît correcte pour toutes les parties. Chaque partie ayant contribué à la réalisation du projet s'y retrouve : la compagnie par son investissement professionnelle et personnelle, l'école en prenant en charge la responsabilité légale et juridique et les représentants de parents d'élèves par le temps et l'énergie consacrés au bon déroulement des différentes étapes.
Pour la plupart des enfants et de leurs parents, ce sera la première fois qu'ils entreront à la Maison Cantonale, mais également, la première sortie théâtrale dans le cadre familial. Certains enfants sont accompagnés par trois adultes, voire plus. Depuis la pré-vente des billets, ça parle de « pestacle » à l a sortie de l'école. Une préparation pédagogique dans les classes n'a pas eu lieu car ils s'agit d'un rendez-vous hors contexte scolaire et tous les enfants ne seront pas présents. C'est une proposition aux très jeunes enfants et à leurs parents d'entrer voir les artistes, sans que la porte d'un théâtre - décrit par certains comme intimidant - ne les en empêche.
Zac et Nano, le 23 mai 2008, à Bordeaux Bastide
Certains spectateurs arrivent très en avance et d'autres très en retard, mais le public est au rendez-vous. L'ambiance est entre kermesse et théâtre. Certains enfants sont très fiers, d'autres festoient déjà comme à la fête de l'école. Certains parents bienveillants, d'autres plus sceptiques. Une fois la salle remplie, le discours. Obligatoire et incontournable. Remercier les institutrices, la directrice, la mairie. Comme je suis l'élue, je pense m'adresser d'abord aux enfants, les remercier en premier, puis leurs parents. De sorte à instaurer un dialogue. Je m'adresse à eux et eux, ils sont tellement contents d'être là qu'ils écoutent réellement. Je présente Zac et Nano, en personne extérieure à la troupe, mais proche néanmoins de ce que les artistes portent. Un lien entre toutes les personnes présentes ce soir-là. Le rideau se lève et il n'y a rien sur la scène. Mais, très vite apparaît Nano. Il est flagrant que l'accueil que lui font les enfants le surprend lui-même. Il déclenche un rire, venu d'une bonne quarantaine de gosiers en forme, qui est salvateur et se réitérera tout au long de la représentation. Il y a une mare de rires aux premiers rangs. Nano est drôle. La réaction des enfants le propulse autrement que le soir à Blanquefort, en face des ados. Les enfants suivent le jeu. Ils ne se privent pas, commentent, interpellent. Il y a une qualité d'écoute, une disposition indéniable à vouloir suivre l'action théâtrale. L'exaltation se mue toutefois en excitation lors du passage des bulles, et aussi des volants.
Il y a un tas d'enfants qui n'ont plus tenu sur leur siège et qui sont en mouvance entre la scène et la salle. Il faut, dans leur élan, les retenir. Malgré ce débordement, la plupart des enfants reste attentif au spectacle, à leur manière.
Les tout petits dansent, pur plaisir d'être là à sentir que quelque chose se passe. Les visages sont heureux. « N'oubliez pas la mer » rappellent certains. « Méchant, méchant ». Voilà qu'il revient, Nano est redevenu le méchant. Malgré le bon début. Quand s'est fini, l'applaudissement éclate, qualité requise pour témoigner de la bonne appréciation du spectacle selon les comédiens.
J'en sort éreintée de la représentation. A l'inverse des enfants qui ont pris un réel plaisir. Pour eux, c'était un moment intense. Ceci-dit, je ne sais pas ce qui a été plus intense pour eux. Le voyage de Zac et Nano ou le fait de se retrouver en même temps qu'eux dans une salle de fête, à leur propre voyage. En même temps, cela ne fait aucune différence. Il s'agit de jeunes enfants qui pour la plupart ne sont jamais allés au théâtre et dont la capacité à suivre une action scénique est en devenir.
A la sortie, sous le porche, mais aussi sur la place devant la Maison Cantonale, le beau temps est revenu. Il y a beaucoup de monde, qui reste, boit, mange, discute. Un long moment. Les retours sont bons. Le spectacle a plu, aux petits et aux grands. On profite du moment. De la première sortie au théâtre. D'un vendredi soir au mois de mai. Ce n'est que petit à petit que la place se vide et quand les derniers partent, il est presque 23 heures.
Après le démontage du matériel, nous nous trouvons devant la Maison Cantonale à discuter. Les comédiens sont contents. Marie Pustetto aussi. Ils repassent en revue les différents moments de la représentation. Ils ont pris un réel plaisir à jouer. Christian Sébille exprime son étonnement face à la première réaction des enfants. Cette entrée en scène a modifié son jeu. Eric Pebayle dit avoir ressenti un renversement des rôles. C'était Nano qui menait cette fois-ci la danse.
Les nombreuses discussions que j'ai pu avoir avec les trois membres du Théâtre du Petit Rien m'ont fait prendre conscience de la continuelle recherche tant artistique, dramaturgique que corporelle inhérente à la création théâtrale, infiniment et indéfiniment liée à la réception et à la rencontre avec le public. L'acteur culturel est à la croisée de ces deux mondes.
Crédit : Eva Sanz
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